Quand Ouest-France s’engageait dans le camp du « oui » au traité de Maastricht

Le traité dit de Maastricht qui fonde l’Union européenne est signé le 7 février 1992 par les douze États membres de la Communauté économique européenne (CEE). Il marque une étape forte dans la constitution d’une union plus politique de l’Europe : renforcement du Parlement européen, instauration d’une citoyenneté européenne, développement d’une politique économique avec la création d'une Union économique et monétaire (UEM) ayant pour objectif la constitution d’une monnaie commune. Pour ratifier ce traité, François Mitterrand, alors président de la République choisit la voie référendaire. La date du vote est fixée au 20 septembre 1992.

Affiche de l'UDF en faveur du traité de Maastricht. Collection particulière.

C’est ainsi que tout au long de l’année 1992, le débat européen monopolise la vie politique hexagonale. Une campagne électorale qui fracture la vie politique française, au sein même de chaque famille partisane. A gauche, le président François Mitterrand s’engage fortement pour le « oui », quand les communistes, écologistes, ainsi que certains socialistes regroupés autour de Jean-Pierre Chevènement s’opposent à la construction d’une Europe libérale. A droite, si l’UDF, de tendance libérale et démocrate-chrétienne, confirme son engagement pro-européen, le RPR se divise par la fronde menée par  le gaulliste social Philippe Séguin, qui trouve des alliés à l’aile droite de son parti – Charles Pasqua –, mais aussi chez les souverainistes – Philippe de Villiers. La presse écrite se fait relais d’opinion. En Bretagne, c’est une nouvelle occasion pour Ouest-France de réaffirmer son engagement pro-européen, comme en 1979 à l’occasion des premières élections du Parlement européen, quand le quotidien y voyait un moyen de « faire cheminer les esprits » en faveur de la construction européenne.

Dans la dernière semaine de campagne, François-Régis Hutin répond aux partisans du « non » qui voient dans ce traité une perte de souveraineté pour la France : « Le non, en brisant l’élan [européen], abaisserait la France »1. Pour le patron du quotidien rennais, la construction européenne est le meilleur rempart pour la sécurité hexagonale, car « les menaces n’ont pas disparu ». Bien que

« l’effondrement soviétique tend  désormais à nous faire croire que le danger est derrière nous. Sachons-le, il n’en est rien ! »

Un danger présent aux frontières avec la guerre qui vient  d’éclater « au cœur de l’Europe » sur les décombres d’une Yougoslavie éclatée et les difficultés rencontrées par le nouveau leader russe, Boris Eltsine. Poussé « à s’appuyer davantage sur l’ancien KGB », il entraînerait la Russie vers « un  conservatisme […] et un inquiétant nationalisme anti-européen ». L’éditorialiste se fait même lyrique : 

« En cette fin de siècle, où l’évolution du monde s’est brutalement accélérée, la construction européenne était et demeure la seule réponse valable  et possible qui donne un peu de prise sur l’avenir, de visibilité sur une route chaotique, de  sécurité au milieu d’embûches multiples. »

Il balaye également d’un revers de main les arguments de ceux qui justifient leur vote « non » par une volonté de renégocier le traité :

« ne croyons pas qu’après avoir provoqué de telles réactions dans les autres pays d’Europe, nous serions en situation  de renégocier le traité. Bien au contraire, tour sera stoppé pour longtemps. »

Le lendemain, 18 septembre 1992, ce sont « les monnaies dans la tourmente »  qui font la une de  Ouest-France :

« A trois jours du référendum sur Maastricht, la tourmente a encore soufflé sur les monnaies européennes faibles : la peseta, la livre et la lire.  En revanche, pas de jeudi noir pour le franc qui résiste. Ce tumulte sur les places financières a donné de nouveaux arguments aux partisans du oui… et de la monnaie unique. »2

A en croire le quotidien breton, cette monnaie unique permettrait d’échapper « à une hégémonie encore plus forte du mark », puisque

« Berlin n’a pas attendu la fin du mur de Berlin et l’unification allemande pour imposer au reste de l’Europe la tutelle asphyxiante du mark. Depuis quatre ans,  elle n’a quasiment pas desserré réellement les taux (sic). »

La veille du scrutin, la une est sans ambigüité : « Oui à la France, oui à l’Europe »3. Dans son éditorial, François Régis Hutin assume la ligne éditoriale de son journal en faveur du « oui » au traité de Maastricht :

« Il nous est apparu de notre devoir de faire connaître à nos lecteurs notre choix et nos motivations. En même temps, soucieux de remplir notre rôle d’informateur, nous avons tenu à faire connaître les arguments de ceux qui ne partagent pas nos orientations. Maintenant chacun va se déterminer. »

Philippe Séguin et Charles Pasqua: deux barons de la droite hostiles au traité de Maastricht. Droits réservés.

Au lendemain du scrutin, Ouest-France souffle : c’est le « oui » qui l’a emporté, mais « un résultat acquis de justesse » (51.04% de votes favorables, pour une participation de 69.7%)4. Malgré ce vote timoré en faveur de la poursuite de la construction européenne, le quotidien breton semble soulagé de constater « un oui plus net dans l’Ouest que dans le reste de la France ». Et en Bretagne plus particulièrement où le plus faible résultat en faveur du « oui » est pour le Morbihan avec 56,7%. Cette approbation monte jusqu’à 62,8% en Ille-et-Vilaine, une terre marquée par la démocratie-chrétienne… et fief de Ouest-France.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

1 « Ne brisons pas l’élan, n’abaissons pas la France ! », Ouest-France, 17 septembre 1992.

2 « Europe : les monnaies dans la tourmente », Ouest-France, 18 septembre 1992.

3 « Oui à la France, oui à l’Europe », Ouest-France, 19 et 20 septembre 1992.

4 « Oui à l’Europe », Ouest-France, 21 septembre 1992.